Spectre du passé

[ 10 Janwÿn 2860 ]

Le fynfrig était parvenu jusqu'à la forêt de Nivery, immense région boisée connue pour ses arbres touffus et très grands. Se perdre dans ces bois était très aisé, et seuls les habitués des grands voyages étaient capables de se repérer en ces lieux.

Selon les rumeurs, cet endroit abritait quelques dragons, liés à la Terre, et une magie omniprésente emplissait les lieux. Pourtant, ce ne semblait pas être le cas. Un léger résidu magique était perceptible un peu partout, mais de la a parler de magie, il y avait un monde.

Très vite, l'homme-oiseau se perdit, malgré tous les repères qu'il avait pu prendre. On entendait parfois des animaux filer à travers les fourrés, mais l'air était froid, humide, et la lumière peinait à traverser les épais branchages.

Quelque part dans cette semi obscurité, un léger rire se fit entendre. Un rire d'enfant, enjoué, résonnant dans les bois, proche, mais invisible.

Le fynfrig du reconnaître que la peur le prenait. Et la voix d'un enfant dans un endroit aussi sinistre lui ébouriffait les plumes. Lentement, il se mit à suivre le son de la voix, d'abord de l'oreille, pour tenter de la localiser, puis physiquement.

Il était impossible de la localiser réellement. En fait Zepharion peinait même à savoir si elle était toute proche, ou s'il lui fallait la rejoindre.

Il prit son bâton à pleines mains, en avançant de la manière la plus furtive dont il soit capable, conscient que la magie, comme le vol ne pourraient peut être pas le sauver.

Il avançait, incertain de sa capacité à survivre ici, comme à faire face à quelque situation imprévue.

Aucun mouvement ne se faisait entendre. Même les animaux semblaient s'être tus. Les rires étaient désormais muets, un silence presque total régnait sur la forêt.

Presque en effet. Discrète mais bien présente, une respiration se faisait entendre. Profonde, régulière, elle semblait parcourir le bois. Quelque chose était là, quelque part.

Soudain, une voix grave, un peu enrouée, et pas très réveillée se fit entendre juste derrière le Fynfrig.

"T'es qui toi ?"

L'animal lâcha un crise de surprise, et rattrapa son bâton de justesse qu'il avait lâché en cours de route. Les plumes bourrées, le volatile se retourna, détaillant son "agresseur" d'un regard froid et perçant plutôt crédibilité par l'état de son plumage.

Les ailes à moitié déployées par réflexe, le fynfrig se redressa et gronda.

Et vous qui êtes vous?

Sa peur maîtrisée, il se racla la gorge, se rappelant soudain qu'il était l'étranger, et qu'il n'avait donc pas à imposer sa mauvaise humeur à l'habitant des lieux.

Excusez moi... je suis Zepharion un simple voyageur à la recherche d'un dragon du nom d'Arkessijunerk.

Ce qui lui répondit fut un mouvement sur l'écorce d'un arbre assez imposant. En fait, ce fut l'écorce même qui se mit à bouger, à serpenter le long d'un second tronc, plus a la taille de ses congénères. Une paire d'yeux s'ouvrit dans la masse de mousses et d'écorce, ainsi qu'une gueule emplie de crocs aux couleurs des sous-bois.

"Ceux qui cherchent le Sage sont rarement reçus, étrangers. Notre Père n'aime pas les visites. Cependant, vous semblez plus doués que les autres. Trouver cet endroit n'est pas donné à tout le monde.

Que veux-tu ?"

Le fynfrig se surprit à bredouiller et du se faire force pour reprendre contenance.

Ruzankairn m'envoie le voir. J'ai un objet à lui remettre, mais également une question à lui poser. Je ne suis pas un être de grande importance, mais je pense sincèrement que sa réponse pourra apporter un grand changement sur de sinistres évènements qui se profilent à l'horizon. Aussi j'espère que vous me pardonnerez mon insistance, mais il est vital que je le trouve, dans les plus brefs délais.

Le dragon approcha sa gueule du Fynfrig, pour le renifler longuement, par grandes inspirations.

"L'Elfe aux yeux de Vérité vous a donc parlé de nous."

Il descendit complètement de son perchoir. Si ses écailles étaient parfaitement sembable à de l'écorce, lichens compris, son ventre était plutôt de couleurs verdâtres aux teintes marronnées, typiques d'un chemin de terre forestier. Le camouflage parfait. Les paupières doubles du dragon glignèrent plusieurs fois, observant Zepharion.

"Je suis Arkessijunerk, mais je ne suis pas celui que tu cherches. Toutefois, tu m'apportes le présent de l'Elfe aux yeux de Vérité, signe de ma dette. S'il a choisi de te faire confiance, alors ma confiance est tienne.

Le Sage Sans-Ailes vit dans les profondeurs de cette forêt, mais il est impossible de s'y rendre sans magie. Il me reste assez de forces pour nous mener tous deux à lui, mais j'ignore si je serai capable d'assurer le retour. Es-tu certain de ton choix ?"

Le fynfrig observa la créature, surpris, mais à présent rassurer de savoir ce qui se trouvait réellement face à lui.

Je suis sure de moi mon ami.

Le fynfrig s'inclina en signe de respect et reprit.

Ce n'est pas un choix que j'ai la possibilité de faire. Des évènements tragiques se produisent partout, et la disparition de la magie n'y est pas étrangère. Les réponses du sage sans-ailes me permettront peut être de trouver une solution à ce cataclysme qui s'annonce.

"Alors soit"

La terre autour d'eux sembla soudainement se mouvoir tandis que le dragon se mettait à tambourinner le sol. Puis soudain, il se saisit du Fynfrig, le protégea de ses ailes d'écorce, et tous deux disparurent à travers le sol. Ce fut le noir total. Le dragon était habitué et connaissait ses pouvoirs, mais pour un étranger, ce pouvait être particulièrement effrayant.

Il fallut une bonne minute pour que l'espace vital empli d'air si essentiel s'ouvre à nouveau. Un choc les secoua, puis tous deux se retrouvèrent dans une immense caverne, semblant avoir été creusée par quelque animal géant. Les roches alentour étaient fluorescentes, et malgré l'enfermement et l'odeur de poussière des lieux, une légère sensation de bien être se faisait sentir.

Le rire lointain, que Zepharion avait entendu dans les bois, résonna dans les roches, avant de s'éteindre. Il n'était pas plus proche, ni repérable, mais plus précis. Ce n'était pas le rire d'un enfant. Plutôt celui d'une femme très jeune, peut-être adolescente. Un rire qui respirait une joie éteinte en ces temps troublés.

Arkessijunerk ne sembla cependant pas l'entendre, ou du moins il n'y prêtait pas attention. Il déposa le fynfrig et sembla attendre quelque chose. Quelque chose qui ne tarda pas à se manifester.

Une sorte de souffle, un murmure titanesque résonna dans toute la caverne :

"Arkessijunerk, pourquoi amènes-tu un étranger dans notre sanctuaire ? Cet être ailé n'a pas sa place en ces profondeurs..."

Le dragon fit un salut particulièrement révérencieux, avant de s'expliquer succintement.

"Ce fynfrig, nommé Zepharion, nous a été envoyé par l'Elfe aux yeux de Vérité, qui nous aida jadis. En reconnaissance de notre dette, il souhaite que nous l'aidions à comprendre, et peut-être déjouer le malheur qui s'abat sur notre peuple."

Un long silence suivit, durant lequel le dragon conserva une aile devant Zepharion pour lui intimer de se taire. Puis a nouveau le murmure parcourut comme un vent la caverne, apportant une réponse :

"Je t'écoute, Zepharion. Celui qui t'a mené ici doit te tenir en haute estime pour sacrifier notre dette. J'en conclus que les choses sont graves. Pose ta question, et je tâcherai de t'offrir une réponse."

Le dragon d'écorce se retira vers le fond de la caverne. Il avait été le médiateur, mais désormais son rôle était au silence.

Le fynfrig était complètement désarmé. Lui qui pensait ne pas pouvoir aller plus bas, il se retrouvait à présent à être plus bas que terre, au sens littéral du terme.
Il attendit patiemment son moment de parler, profitant du discours entre les deux créatures mythiques pour reprendre ses esprits et tenter de se calmer. Il surveilla sa respiration et la contrôla, il fit le point sur sa situation, tentant de la prendre avec humour. Lorsqu'il entendit son nom il rouvrit les yeux et joigna les mains, puis répondit à l'ancien, tout en s'inclinant de manière courtoise.

Oui la situation est grave. Catastrophique même. En surface, la magie disparaît, des catastrophes en série ravagent les villes. Les bardes ne content plus les récits de leurs voyages, les chants se sont tus.
Un être ancien a été oublié. Il a disparu, et c'est sa disparition qui ravage les terres dans leur globalité.
C'est la seule chose que nous, humbles mortels savons. Mais nous ne pouvons nous rappeler de ce dieu déchu, nous ne savons pas où ni comment le trouver pour arrêter ce fléau.

A nouveau, le souffle régulier du sage se fit entendre, emplissant les cavernes. Un soupir peut-être. Puis la voix reprit. Elle semblait fatiguée.

"Approches-toi, que je puisse te voir, jeune ailé."

Le dragon d'écorce, toujours en arrière, faisait signe à Zepharion d'avancer vers le fond de la grotte, face à lui. Malgré la fluorescence des pierres de la caverne, le Sage restait toujours invisible.

Le fynfrig obéit et se rapprocha. Fronçant les yeux, il tenta de distinguer la forme qui lui parlait.
Mais la pénombre rendait la tâche difficile. Cela dit l'exercice eut au moins l'avantage de lui faire temporairement oublier sa peur de l'enfermement et de l’ensevelissement.

Il jeta un regard en arrière, mais l'autre dragon était à peine visible lui aussi. Il se racla la gorge et ravala sa salive. Même pour lui, qui avait effectué de nombreux voyages et qui avait vu assez de choses pour être rarement surpris, la situation restait terrifiante, et sortait de l'ordinaire.

Au lieu d'une forme, ou même d'un silhouette, ce fut un oeil énorme qui s'ouvrit, comme une gangue de pierre qui se serait soudainement fendue en deux pour dévoiler un iris vert et une pupille fendue qui devait faire la hauteur de deux hommes. Une seconde gangue de terre bougea, puis une troisième, dévoilant deux autres yeux formant un triangle avec le premier.

Zepharion recula violemment, et eu le réflexe idiot de déployer ses ailes. Se rappelant soudain d'à quel point ce réflexe était idiot, il les replia et tenta de reprendre un peu de contenance. Chose particulièrement ardue pour un rapace n'ayant plus aucune défense.

Wow!

Les trois yeux perçants observaient le fynfrig. Si son regard était imposant, il était à la fois doux, comme s'il s'agissait d'une chose fragile, d'une porcelaine qui n'aurait besoin que d'un peu de vent pour se briser.

Son regard semblait totalement transpercer le coeur de Zepharion. Sous l'égide des trois yeux, il se sentait totalement nu, comme s'il pouvait lire totalement en lui. C'était d'ailleurs ce qu'il faisait.

Alors qu'il fouillait son passé, pour comprendre les événements de la surface, le rire de jeune femme se fit de nouveau entendre. Au pied des trois yeux, une sorte de forme spectrale plus ou moins phosphorescente apparut brièvement, juste assez pour que Zepharion puisse la distinguer. Une jeune femme magnifique, qui semblait humaine, mais d'une beauté saisissante, même pour un membre d'une autre race. Elle le regardait, souriante, le visage radieux, mais de longues trainées de larmes coulant le long de ses joues.

Puis elle disparut totalement. Les paroles du dragon résonnèrent de nouveau dans la caverne.

"Alors c'est ainsi. Tu viens chercher la connaissance auprès du plus ancien, pour comprendre le passé et sauver l'avenir."

Le fynfrig s'inclina et acquiesça. Le fynfrig ne semblait plus effrayé. En apparence du moins. Intérieurement, il était encore effrayé.

Oui. Même les livres les plus anciens ont vu leurs pages réduites drastiquement pour effacer cet être. Il ne reste donc plus que la mémoire du plus ancien pour nous apprendre à tous, où, à quel moment, et comment, nous sommes partis dans l'erreur.

"Il existe un conte que l'on m'a enseigné. Il y a plus de mille ans, un fait similaire s'est produit. La magie disparut, les dieux se turent, le monde sombra dans le chaos. Nombreux sont ceux qui ont tâché d'effacer cette histoire, et je suis peut-être le dernier a l'avoir vécue.

J'ignore comment cela a été résolu, mais ce qui parvint à résoudre l'énigme de cette catastrophe se trouvait dans la Guerre des Dieux. Une période unique, lointainte, où le monde tel que nous le connaissons a failli totalement disparaître.

Aujourd'hui, il semble que nous subissions encore les conséquences de cette guerre. Comme il y a mille ans, des bardes strictement identiques apparaissent dans le monde entier. Si l'on en croit les anciennes légendes, il n'existe qu'une entité capable d'être à plusieurs endroits à la fois : il s'agirait du dieu Crépuscule, dieu du voyage, des arts et de la survie. Ce dieu n'est pas très connu, mais son savoir est immense. Peut-être est-il lié à ce dieu déchu dont vous me parlez.

Enfant des airs, vous devez prendre contact avec les dieux au plus vite. Je crains que le contact ne soit rompu trop vite, et qu'il devienne impossible, à nouveau, de les joindre.

Le fynfrig parut paniquer durant un moment. Pas parce qu'il n'était pas à l'aise sous terre, en fait il n'y pensait même plus, mais car la tâche lui paraissait tout simplement colossale.

Moi? mais... m... Je ne suis pas shaman, je n'ai jamais été bercé par les arcanes divins. Je ne suis qu'un simple mortel, comment voulez vous que je rentre en contact avec les dieux? Et si je le pouvais, qui contacter en priorité?

Et ce Crépuscule, que pourrons nous faire contre lui s'il s'agit bel et bien d'un dieu?

Crépuscule n'est pas un dieu guerrier. Il ne se prête à aucun combat, et ne s'impose ni chez les dieux, ni chez les mortels. Mais son savoir est parfois transmis aux mortels.

Il existe un moyen de contacter les dieux sans passer par les moyens convientionnels. L'objet que vous nous avez transmis en guise de paiement est une sorte de clé. La clé de la porte de service des dieux. C'est Crépuscule lui-même qui me l'offrit il y a mille ans, en récompense... en fait je n'ai jamais su en récompense de quoi.

Ses paroles étaient obscures à l'époque, mais j'en saisis aujourd'hui plus le sens :

"Les cieux se tairont.
Le fleuve cessera de couler.
Le vent tombera,
La terre sera ferme,
Le feu brûlera ceux qui le touchent,
L'eau noira ceux qui s'en approchent.
Lumière et ténèbres s'enchaîneront,
La lassitude naîtra quand mourra la joie.

Mais si le fil est coupé,
Si l'échelle est brisée,
Il suffit de renverser pour tomber,
Et tout recommencer."

Les cieux se sont tus. Les dieux ne répondent plus. L'elfe qui vous a mené ici considère la magie comme un océan, et je ne serait guère étonné que le fleuve de ces vers ait la même signification. Les éléments deviennent incontrôlables, et repennent leurs droits. La joie, la créativité, tout cela disparaît de notre monde.

Quant au fil coupé... Il s'agit probablement du lien avec les dieux. Si l'on en croit ce poème, les choses peuvent encore dégénérer. Plus de magie. Plus de dieux. Nous serions livrés à nous-mêmes.

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