La fête de l'Eau de Cristal

5 Decÿn 2859

Comme chaque année depuis des lustres, la venue de l'hiver et des premières neiges était fêté dans le peuple draconique. A cette époque de l'année, les dragons des eaux revêtent leur forme éphémère des glaces, offrant au monde des créatures à la beauté sans pareille.

Ce qui était à l'origine source de jalousie est désormais source de festivités, où est organisé un concours de beauté entre les nouveaux dragons des glaces. Le jury était composé d'un représentant de chaque espèce de dragon, ce qui pouvait poser quelques problèmes de voisinage, en particulier avec les dragons des ombres.

Pourtant, cette fête était avant tout sous le signe de la trêve entre les ennemis, et nulle agression ne survenait autour de la rivière Yve pendant les festivités. C'était la tradition.

Cette année, les autres races avaient été conviées à ce concours. La dernière guerre et les tensions entre les peuplades avaient besoin d'être calmées, et tous avaient besoin de rire un peu après cette période sombre. Toutefois, les armes étaient parfaitement interdites et de vieux dragons veillaient à ce que la magie ne soit pas usée à mauvais escient.

Des feux avaient été faits un peu partout, des tentes plantées, et même quelques nobles de Ra'Sibe avaient fait le déplacement. Au milieu de ce qui semblait être le coeur de la fête, un barde faisait profiter le monde de brillantes histoires. Sa voix emportant chacun à tel point que ses folles histoires semblaient vraies. Ces contes étaient essentiellement centrés sur les dragons. L'envol vers les cieux, l'amour impossible entre dragon des flammes et des glaces, et enfin un idylle entre une dragonne et Ëlementis en personne.

Après ses quelques histoires, le barde reprit le long bâton de marche qu'il possédait, bien trop grand pour lui par ailleurs, et vint assister comme tout un chacun à la prise de forme des dragons des glaces. C'était un homme a priori d'âge mûr, la voix encore vigoureuse mais le dos un peu courbé par le poids des années. Imberbe, il portait une paire de lunette sans branches qu'il remontait de temps en temps pour mieux voir ce qu'il se passait.

La fête de l’eau de cristal… Une fête que le demi-elfe appréciait énormément. De toute beauté, chaque dragon d’eau abordait une apparence magnifique. C’était aussi une occasion pour lui d’écouter les légendes pour ensuite les faire voyager, après tout il n’était barde pour rien.
On peut facilement avouer que les débuts de Fënyl à cette fête avaient été houleux, lors de son enfance surtout, quand il s’y rendait avec ses parents. Être un semi lui avait attiré des ennuis… imaginez donc avoir l’apparence totale d’un elfe, mais des ailes reptiliennes dans son dos et bien les dragons vous traitent alors comme un imbécile incapable de voler aussi vite qu'eux, ni aussi longtemps, etc, etc. Il en avait entendu des sarcasmes en ces temps-là. Les elfes également ne l'avaient pas immédiatement accepté à cause de sa double origine. L'éternelle problème des semis. Mais qu’importe, à présent il était reconnu par les dragons, ou tout du moins toléré et les elfes avaient plutôt tendance à l'accepter plus facilement depuis qu'il avait appris à dissimuler ses ailes draconniques.

Il repoussa du bout du doigt le bord de son chapeau, relevant ainsi légèrement celui-ci, puis se fondit dans la masse, semblable à un elfe, ayant rendu invisible ses ailes comme souvent lorsqu’il ne les utilisait pas. Il s’approcha d’un groupe qui écoutait un conteur. Apparemment il avait déjà évoqué plusieurs histoires, mais par chance le demi-dragon s'était approché au moment où l'homme en débutait une autre. Il devint vite flagrant que le conteur avait plus d’expérience que le semi. Il était d'ailleurs pratiquement l’inverse total du demi-elfe du point de vue physique. Plutôt âgé, une voix ferme, légèrement courbé par l’âge, seul point commun, il semblait imberbe. À l’inverse de Fënyl qui était élancé, aux yeux gris, en pleine force de l’âge et voyait parfaitement bien.

Le groupe formé, une fois l’histoire achevée, se dirigea vers le lieu où les dragons de glace se métamorphoseraient. Un spectacle magnifique et à voir au moins une fois dans sa vie pour le simple plaisir des yeux, mais le semi n’était, pour l’heure pas intéressé par le spectacle, mais par le conteur qui lui laissait une étrange impression. Du moins s’il en croyait son intuition. Il se laissa entraîner par la foule en s’approchant du conteur, une fois proche il lâcha avec courtoisie :

-Magnifique histoire que la dernière à avoir été énoncée. Je suis moi-même barde à mes heures perdues.

« Heures perdues qui sont bien nombreuses… même si je préfère rester majoritairement enchanteur. »

Il sourit aimablement au vieil homme en suivant la foule qui finit par s’arrêter. Les dragons de glace allaient débuter leur magnifique transformation.

Le barde accueillit le nouveau venu avec un sourire doublé d'un brin de curiosité. Il n'était pas rare que certains viennent le voir pour raconter pareille chose, mais généralement il les ignorait : le talent était quelque chose de rare.

Mais chez ce jeune homme, il savait qu'il ne s'agissait pas que d'un simple hobby, où certains croyaient qu'enchaîner quelques rimes ou une petite prose suffisait à faire de l'art.

"Vraiment ? Vous semblez bien jeune pourtant. Connaissez-vous quelques contes qui pourraient enrichir mon registre ?"

La tradition bardique était souvent de s'échanger quelques histoires, quelques légendes. Les plus anciens bardes prenaient parfois un jeune sous leur aile pour leur conter leurs propres histoires, transmettre leur savoir. La tradition orale, malheureusement, avait une tendance à se perdre depuis que l'écriture devenait de plus en plus répandue, mais seuls ces conteurs hors pair pouvaient donner tant de vie à ces mots.

Le jeune semi observa le conteur un moment sans répondre lorsque celui-ci lui posa la question. Il réfléchissait, un conte pouvant enrichir le registre de l’homme ? Non il ne pensait pas en avoir, il connaissait beaucoup de légendes elfiques, mais pour le reste c'était des contes très connues dans toutes les terres, ou bien il racontait des fables aux enfants en s’inspirant de ce que les animaux lui disaient parfois. Une fable, hum il en avait peut-être une qui était inconnue au vieux conteur.

-Oui, je ne suis pas très âgé il faut le reconnaître et je ne pense pas connaître beaucoup de contes qui vous soient inconnus, mais il y a peut-être une fable, pour enfant certes, mais qui pourrait entrer dans cette catégorie. Le loup et le lapin.

Une histoire véridique puisque c’était ledit lapin qui lui avait exposé toute l’histoire, le demi-dragon s’était ensuite contenté de la mettre sous la forme d’une fable. C’était l’une des préférées des enfants de Ra’Sibe. Les bambins qui la connaissaient la réclamaient tout le temps lorsque le jeune homme passait dans la ville et il la leur racontait pour leur faire plaisir. Certains même la connaissaient déjà par cœur et apparemment ils l’avaient raconté aussi à d’autres bardes, donc peut-être que le vieil homme la connaissait déjà de par ce fait qu’elle avait commencé à se propager.

Une métaphore, voilà qui est intéressant. Les contes métaphoriques se font rares ces derniers temps. Si vous le voulez bien, j'aimerai que vous me la contiez tantôt.

Les dragons des eaux commençaient doucement à se placer. Certains n'avaient pas encore gelé, mais formaient déjà le flot de leurs corps pour prendre l'apparence dont ils avaient besoin. Le résultat était assez étonnant. Quelques esprits aquatiques s'étaient d'ailleurs joint à eux pour "compléter" les sculptures qu'ils formaient désormais.

Que pensez-vous de cette fête, mon ami ? J'aime beaucoup admirer les enfants des eaux faire de leur propre corps une oeuvre d'art.

La fête de l'eau du cristal était en plein cour et Èl y avait été entrainé par un ami à lui qui lui avait assuré un magnifique spectacle. Le faussaire y était déjà depuis quelques heures mais il avait perdu son ami. Il avait essayé de le retrouver parmi la foule en survolant l'endroit sur un aigle qu'il avait dessiné mais c'était peine perdu. Il y avait bien trop de monde ! l s'était donc résolu à assister seul à la fête. Cela ne le dérangeait pas le moins du monde mais c'était son ami, Elrin, qui avait son argent. Eh bien tant pis ! Il ferait sans. De toute façon il y était obligé.

Elvilmamir se promenait, admirant les paysages, les gens. C'était la première foi qu'il assistait à ce genre de f^te. Préférant généralement se tenir à l'écart des foules qu'il n'appréciait pas particulièrement. Mais maintenant qu'il était la autant en profiter. Il resserra son foulard qui tombait, recoiffa ses cheveux et vérifia son matérielle avant de suivre un groupe qui se dirigeait vers un homme. Un conteur. Il écouta quelques unes de ses histoire avant de repartir d'où il venait. Èl avait soif. Il se dirigea vers un coin de la rivière où il n'y avait personne et s'abreuva. Ensuite, il s'assit là. Notant ses impression sur son carnet qui ne le quittait jamais. Au moment où l'inspiration le quittait le faussaire entendit les cris de la foule. Il leva la t^te et vit quelque chose de magnifique. Quelque chose d'unique. Les dragons d'eau prenait des formes éblouissantes ! Elvilmamir resta quelques instants bouche bée avant de se pencher sur son carnet et de dessiner ce qu'il voyait. Il profita quelques minute du spectacle seul ici avant de s'approcher. Il entra dans la foule et se fit bousculer immédiatement.

* J'étais aussi bien là-bas. *

Il essaya de sortir deux là, bousculant au passage deux hommes qui discutaient. L'un était le conteur qu'il avait écouté avant.

-Excusez-moi messieurs.

Apparemment il ne la connaissait pas encore et semblait intéressé par le fait de l’entendre. Cela fit sourire le jeune demi-dragon, ravi d’avoir éveillé l’attention du vieux conteur, bien entendu il allait accepter de lui apprendre la fable, espérant en échange lui aussi apprendre des contes.

-J’en serais ravi.

Il reporta son attention sur les dragons qui commençaient à faire de magnifiques sculptures de glace et écouta l’homme demander ce que le semi pensait de cette fête. C’est vrai que c’était magnifique ce que faisaient les reptiles, mais ce que pensait Fënyl de cette fête . Hum c’était une bonne question. Il aimait la beauté de la chose c’est vrai, il restait concentré sur ses ailes pour les garder invisibles et éviter de se faire ennuyer par les dragons et les elfes présents, donc il y avait aussi des revers de médailles.

-J’apprécie beaucoup la beauté de cette fête c’est vrai. Cependant pour plusieurs raisons il fut un temps où je n’ai pu apprécier celle-ci à sa juste valeur.

Il sentit soudain la foule bouger et se fit bousculer par un homme, son chapeau tomba au sol, le semi se pencha pour le ramasser et l’épousseta doucement pour en chasser la poussière, puis il le remit en place calmement. Le mélange d’odeurs l’empêchait de sentir la nature de celui qui les avait bousculé, tant pis, ce n’était pas très important.

-Il n’y a pas de mal ne vous en faites pas.

Le barde avait vu venir la "bousculade" en observant brièvement la débâcle de l'humain au milieu de la foule. Pourtant, il ne dit rien pour avertir, il aimait laisser les choses suivre leur cours sans intervenir. De plus, cela lui donnait un interlocuteur supplémentaire, ce qui n'était pas pour lui déplaire : cette fête attirait parfois quelques aventuriers qui avait souvent quelques histoires intéressantes à raconter.

"Aah, cher ami, vous tombez bien. Nous parlions de nos intérêts respectifs pour cette fête. Dites moi, qu'est-ce qui vous a amené à venir observer ces beautés éphémères ?"

Il aida de la main l'humain à se stabiliser pour ne pas chuter de nouveau, mais ne semblait pas désireux de le laisser partir avant qu'il n'aie répondu à sa question.

Après s'être excusé Èl aurait voulu reprendre son chemin immédiatement mais le conteur ne voyais pas les choses comme ça et semblait désirer qu'il reste. En homme poli il s'obligea à rester et à répondre à l'homme. De toute façon le faussaire n'était pas pressé.

"Ce qui m'a amené ici ? Hum... à vrai dire je ne connaissais pas du tout cette fête. C'est un ami qui m'a envoyé ici et assuré qu'il n'y avait rien de plus magnifique. Nous sommes venus de Ra'sibe spécialement pour y assister et maintenant que je suis là je ne regrette en rien ce long voyage. C'est tout simplement splendide ! "

Èl se tourna vers les dragons quelques secondes et comme pour souligner ses dire, un nouveau dragon d'eau apparut. Le jeune homme se dépêcha de recopier méticuleusement les formes qu'il prenait. Le dessin fut terminé en quelques minutes. Puis il observa plus attentivement ses interlocuteurs. Le conteur était assurément un humain mais l'autre... Èl pensait à un elfe ou à un semi elfe.

Ho ? Un autre artiste, mais, après tout, cette fête était d’une grande beauté, donc aucune raison qu’elle n’attire pas les calligraphes, dessinateurs, bardes et autres personnes aimant les arts. Il reporta son regard sur les dragons des eaux qui continuaient de former une œuvre d’art. Il sourit d’admiration, mais son sourire s’effaça rapidement en apercevant un dragon noir qu’il ne connaissait que trop. Le même qui lui avait pourri son enfance et ses premières fêtes de l’eau et du cristal.
Le semi se renfrogna et laissa s’approcher le dragon, celui-ci posa sa main sur le chapeau de Fënyl pour le lui enfoncer sur la tête l’air de rien. Et regardèrent les deux autres avec un sourire poli.

-Bonjour messieurs, bienvenu à la fête, vous êtes en présence de l’un des habitués, qui ne participent jamais ! Franchement Fënyl tu pourrais montrer à tous tes talents de vol mon cher petit ami dragon… Pardon demi-dragon ! Bien… je vous laisse, je voulais simplement vous souhaiter la bienvenue et saluer mon très cher ami demi-elfe.
-...

Le semi sentit la colère monter, mais la jugula comme toujours, cependant il ne pût empêcher ses pupilles de se fendre très légèrement. Il aurait adoré pouvoir enfoncer son poing dans la figure du dragon, seulement il n’était pas dans sa nature de le faire, du moins pas à ce stade.
Avec un grand calme il retira son chapeau pour le replacer correctement et ne dit mot, attendant la réaction de ses deux interlocuteurs.

Après le passage du dragon noir, le barde applaudit avec ferveur le jeune demi-dragon, comme s'il venait d'accomplir un exploit.

"Je vous félicite pour votre self-control mon jeune ami. Je vois que vous êtes totalement imprégné de cette fête et de ses convenance."

Il semblait encore plus joyeux qu'il ne l'était lorsqu'il avait vu les dragons des glaces prendre forme. Il ne souleva rien des commentaires du dragon, comme si ça n'avait pas la moindre importance, et revint immédiatement à leur nouveau compagnon dont les reproductions illustrées était plutôt réussies.

"Voilà un art peu commun, vous avez le soucis du détail. Mais pourquoi reproduire ce qui est déjà beau ? Chacun sait que la copie ne peut égaler l'original. Vous devriez vous imprégner plus de ces oeuvres. Il faut les ressentir avec les yeux, certes, mais aussi avec les autres sens."

Quand le dragon noir tourna le dos, Èl lui jeta un regard noir. Puis il examina de plus près son interlocuteur. Un dragon ? Jamais il n'aurait pensé ça.

"Il est vrai que vous avez bien réagit. Provoquer une bagarre ici n'aurait servit à rien et c'est assurément ce qu'il voulait. "

Il se tourna ensuite vers le conteur qui lui avait poser une question dont il n'avait pas la réponse.

" Je sais bien que je ne pourrait jamais reproduire la beauté de la chose. Mais je ne sais pourquoi je le fait. Depuis mon plus jeune age l'art m'attire et je ne peux résister à cette envie. Le carnet que vous voyez là j'en ai remplis plus de cent. Je les ai tous brûlé, tous. Ne me demandez pas pourquoi, je ne le sais pas moi-même. Et je me suis imprégné de cette f^te plus que vous ne le croyez."

En effet, tout ce qu'il écrivait, dessinait ou gribouillait dans ses carnet il le brûlait. Il n'en gardait trace, sauf dans son esprit. Et, quelques fois, ressortait dans une de ses oeuvre une page qu'il avait détruit.

Le semi fit un signe de tête aux deux autres pour les remercier de leur compliment, de même qu’il le faisait aussi pour les remercier de ne pas l’avoir repoussé en sachant qu’il était à demi-elfe. Il écouta les deux autres discuter de l’illustration que le calligraphe avait faite. Étrange qu’il brûle systématiquement ses dessins, cela attisa la curiosité de Fënyl.

-Pourquoi les brûler ?

Il posa la question avec une réelle curiosité, sans le moins du monde vouloir paraître impoli, mais avouez que c’était intrigant qu’il détruise tout ce qu’il dessinait.

"Il s'agit là d'une caractéristique spécifiquement humaine : la destruction de l'art est un art en lui-même. Encore que le feu, bien que spectaculaire, demeure un moyen peu imaginatif, c'est dommage.

Mais qu'en est-il de ce qui précède leur funeste appel ? Certains voient-ils vos oeuvres avant qu'elles ne disparaissent ?"

Le barde était enjoué par la fête, les musiques traditionnelles et les métamorphoses qui se déroulaient devant lui, et même ses questions, pourtant précises, ne portaient aucun défi, ni aucun autre sens que celui que l'on comprenait par défaut.

La question que lui posa le semi lui posa quelques difficultés. Il ne savait pas quoi répondre. Il brûlait ses carnet depuis toujours enfin non. Pas depuis toujours.

" Pourquoi je les brûle ? Ce n'est pas pour faire de l'art comme vous dites, monsieur. Un jour j'ai vu mon maître brûler une de ses oeuvre que je trouvait magnifique. Je lui ai demandé pourquoi il avait fait ça et il m'a dit que cette oeuvre avait des défauts, que c'était un brouillon en quelques sortes et qu'il ne voyait pas pourquoi il fallait le garder. Ce la m'a fait réfléchir et j'ai décidé de faire de même. Tout ce que j'écris ou dessine dans ce carnet n'est que brouillon avant la perfection. Et il ne me sert à rien de les garder. Et oui certaines personnes ont vu mes oeuvre comme vous voyez mon dessin en ce moment. "

Fënyl regarda l’humain intrigué par cette réflexion et réfléchit. La perfection était une chose bien conceptuelle puisque certains pensaient que cela correspondait à de la pureté alors que d’autres songeaient à ce que ce soit le mélange. Plusieurs également croyaient que la perfection n’existait pas. Une chose était donc certaine, la perfection dépendant totalement du point de vue, mais même si ce n’était pas parfait pourquoi brûler ?

-Mais si vous le brûlez, vous ne vous souviendrez plus de vos erreurs et risqueriez de les reproduire. Non ?

Le barde sourit. Non pas un sourire pour appuyer une information qui lui plaisait. Plutôt ce genre de sourire énigmatique, qui au delà du contexte actuel, cache une autre signification, plus profonde.

"Prenez garde, jeune homme. La perfection n'est pas accessible aux mortels. Seuls les dieux en sont capables. Rejoindre le talent des dieux peut leur porter ombrage, prenez garde à ne pas les froisser.

De plus, c'est l'imperfection des mortels qui est à l'origine de leur beauté. Regardez ces dragons."

Il montra tour à tour chacun des dragons de glace qui avaient désormais pris leur forme finale. Certains étaient magnifiques, d'autres un peu moins, mais il semblait difficile de les départager.

"Voyez la beauté que vous avez sous les yeux. Chacun de ces formes a été travaillée, parfois pendant des années. Certaines ont quelques défauts, qu'un oeil aguerrit sera capable de voir. L'un a des formes un peu grossières, l'autre trop de détails, celui-là encore a du étendre la glace au sol pour garder l'équilibre. Chacun a ses menus défauts, mais tous en partagent deux essentiels. L'un qui les rend sublime, l'autre qui les rend fades. Saurez-vous deviner lesquels ?"

Èl sourit en entendant les paroles de ses interlocuteurs. Il ne s'était pas exprimé comme il voulait. Ce n'était pas la perfection qu'il voulait atteindre mais il essayais de ne pas reproduire ses erreur.

"Détrompez-vous, jeune homme, je me souviens de chacune de mes erreurs et ne les reproduis que rarement. Mais l'erreur fait partit de la race humaine et on ne peut y échapper."

Il réfléchit quelques instant aux paroles du conteur et attendit qu'il finissent. Bien sûr qu'il les voyait, les défauts et particularités des dragons après tout il était faussaire. Mais il n'allait pas dévoiler son " don" à des inconnus. Non, pour le monde il n'était qu'un jeune artiste. Èl lui répondit très calmement, comme toujours.

" Je ne le sais que trop bien que la perfection n'est pas au rang des mortels, et jamais je ne voudrais offenser les dieux. Je les respecte trop pour cela. Perfection n'était pas le mot que je voulais employer, je me suis mal exprimé et je m'en excuse. Ce que je voulais dire c'est que je ferrais mieux que ce que je griffonne rapidement dans ce cahier. Bien sûr que je ne peux atteindre la perfection.

Quand aux dragons... Je n'est pas un oeil ou sens de l'observation aussi aiguisé que le votre, monsieur, et je ne pourrais distinguer ce que vous me signalez. Mais maintenant que vous me le dites, je distingue, en effet, quelques-uns de ces détailles. "

En réalité, cela faisait un petit moment que le faussaire les avait remarqué ces détailles. Avant même que le conteur n'en parle. Mais il n'était pas question de le laisser paraître.

Le jeune homme regarda la sculpture de glace des dragons pratiquement terminée. Une chose les rendait fades et une autre sublime avait dit le conteur, le semi réfléchissait à la phrase du vieil homme pendant que l’autre dit qu’il avait remarqué ces détails. Fënyl comprenait ce que voulaient dire les deux hommes, mais ne savait pas exactement de quoi ils parlaient.

-J’avoue pour ma part ne pas voir de quoi vous parlez.

Il sourit poliment, mais gêné. Gêné de son ignorance sur ce sujet.

"Vos yeux vous trompent, jeunes gens, ils ne vous permettent pas de tout percevoir. Pourtant, vous pouvez observer chez chacun cet étrange comportement : certains essaient d'être au premier rang, ils jouent des coudes, ils veulent voir. D'autres ont déjà trouvé leur place, ils savent comment faire. Et enfin, certains laissent la place au nouveau, ils jettent un oeil de temps en temps, désintéressés.

Ces oeuvres sont éphémères, elles ne durent que quelques jours tout au plus, avant que le dragon soit obligé de bouger et de briser sa carapace de glace. Voilà ce qui leur donne cette beauté insondable.

Pourtant, cet évènement a lieu chaque année, certains essaient de reproduire ce qu'ils ont fait, d'autres essaient de se renouveler. Mais pour le spectateur, toutes ces formes se ressemblent avec le temps. La fréquence de création de ces oeuvres est cause de lassitude du public, et prive l'acte de toute saveur."

Èl admira les sculptures de glaces. Il les trouvais vraiment magnifique. Comme il regrettait de ne pes être venu à cette fête les années passé. Mais c'était à Ra'Sibe qu'on trouvait généralement les collectionneurs.

Èl écouta avec attention les paroles du conteur. Elles étaient justes et le faussaire ne savait que répondre à cela, lui qui avait souvent le dernier mots ne savait que dire. Peu de personne avait cet effet sur Èl et il les appréciait, ces personnes.

" Je comprends... Enfin je crois..."

Le jeune homme ne put répondre autre chose. Il était subjugué par cet homme qui semblait posséder un immense savoir

Le semi-elfe écouta avec attention le conteur, il réfléchit un long moment, ce qu’il venait de dire était vrai, les fêtes au fil du temps étaient toutes similaires, à ceci près qu’il y avait parfois des innovations, faisant ressortir celle-ci ou celle-là des mémoires. Lui ne se souvenait pas de chaque fête auxquelles il avait assisté, mais certaines l’avait marqué en bien ou en mal.

-Je suis tout à fait d’accord avec vous, cependant il arrive parfois que certaines fêtes soient plus belles que d'autres, lorsqu’il y a un élan d’innovation.

Le barde sourit en entendant la réponse du semi-elfe.

"Votre affirmation est à la fois vraie et fausse, mais il est normal à votre âge que cette pensée soit vôtre. L'inconvénient de ce défaut est son aspect grandissant avec le temps.L'innovation permettra de ravir l'homme qui n'a vu que 5 ou 6 fois cette fête, mais le vétéran qui y a vu plusieurs génération n'en sentira plus la saveur.

C'est pour cette même raison qu'un barde se doit de rafraîchir constamment son répertoire, et trouver des histoires qui lui sont propres. Ce sont les instants fugaces et si rares qu'il fera vivre à ceux qui l'écoutent qui promettront sa réputation et un repas chaud."

En effet, la plupart des bardes échangeaient généralement leurs chants et histoires contre un repas chaud et une couche pour la nuit. Ce n'était pas le cas de tous, évidemment, mais les plus traditionnels avaient conservé ce mode de vie itinérant, qui leur garantissait à la fois une vie tranquille et un esprit libre de tout soucis pécuniaire menant à l'avarice et à l'orgueil.

Après quelques instant de réflexion, Èl sourit puis reprit part à la conversation.

"Si l'innovation permet de ravir celui qui n'a vu la la fête que quelques fois que ferra t-elle sur celui qui ne l'a voit que pour la deuxième fois ? Il en sera assurément émerveillé et je peux comprendre que cet émerveillement décroit à chaque vision de plus mais je ne peux comprendre qu'elle ne touche plus les vétérans, comme vous dites. Je ne penses pas un jour, me lasser de cette beauté, même si je devais la revoir cent fois. Comme je ne me lasserais pas d'écouter une histoire que je trouve fantastique. Enfin... Il est vrai que je n'ai pas une aussi grande expérience de la vie que vous, monsieur, et il se peut que je me trompe."

Le semi hocha la tête en écoutant le conteur, c’était vrai ce qu’il disait, cependant ce que disait l’autre était vrai également. L’innovation ravissait les anciens comme les nouveaux, mais une chose avait attiré l’attention du demi-dragon. Le vieil homme avait évoqué plusieurs générations, c’était étrange pour un humain de parler ainsi, très étrange. Il était plus vieux qu’il ne le paressait, pour avoir déjà rencontré bien des choses le Fënyl ne s’en inquiéta pas plus, mais cela l’intriguait.

-Oui en effet.

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