Un indice à vérifier

[3 Jawÿn 2860]

Suite à l'apparition de l'étrange homme lié au vent, dans les territoires fynfrigs, il avait été décidé après concertation du village, que Zepharion serait le plus apte à faire des recherches fructueuses en territoire humanoïdes.
Ce dernier avait l'habitude d'approcher Ra'Sibe, et décidant de rechercher dans le passé cet être important qui avait pu disparaître des mémoires, le fynfrig avait décidé de se tourner vers les plus vieux gardiens de la connaissance avec les dragons : les livres de l'académie de magie.

Après un long voyage à pied, chose inédite pour lui, le mage ailé arriva en ville fatigué, et à bout de souffle. Pour la première fois de sa vie peut être, il comprenait le poids continu que devaient porter ces bipèdes lors de leur voyage.

Il fouilla dans sa besace, et émit un sifflement presque strident en se rendant compte qu'il n'avait même pas de quoi se payer un repas. Et sans le vol, impossible de chasser, ni de se mettre à l'abri du danger que représentaient chacun d'entre eux.
Jamais Zepharion ne s'était senti si faible. Il opta pour un toit accessible en escaladant et y fit un somme, espérant que les habitants auraient assez l'habitude de sa présence sur les toits pour ne pas venir le déranger.
En boule, il resta ainsi un moment pour récupérer de son voyage, puis se rendit à la bibliothèque à son réveil, afin d'y chercher des informations concrètes.

Il commença par les contes et légendes, puis par les livres religieux, y cherchant la trace d'un dieu égaré, déchu, dont la présence pouvait ne pas être remarqué, mais dont l'absence causait de terribles séquelles sur le monde en général.

La ville de Ra'Sibe n'était pas belle à voir : l'incendie qui l'avait ravagée lors de la nouvelle année avait fait beaucoup de dégâts, et un quartier entier était en cendres. Pourtant, l'ordre était revenu dans les rues, l'armée veillant au bon respect des lois. Si le quotidien était revenu, l'ambiance générale était maussade, triste, sans relief ni joie.

Les habitants regardaient leurs pieds, les marchands ne criaient presque plus, la capitale étaient bercée d'un brouhaha silencieux, fait de pas et de quelques paroles. Comme si l'on avait cessé de vivre, guidé uniquement par les automatismes de notre vie.

L'académie des mages avait échappé de peu aux flammes, mais une aile entière du bâtiment était effondrée. D'ailleurs, plus aucune aura magique n'émanait des lieux : l'utilisation des sorts avait été proscrite par arrêté impérial. L'accès aux livres n'en restait pas moins ouvert, et la bibliothèque était par conséquent remplie de monde : des chercheurs qui tâchaient de comprendre les derniers évènements, des frustrés de magie qui noyaient leur ennui, des habitués, des passionnés. La bibliothèque était devenue un lieu de rassemblement.

Le rayon contes et légendes semblait avoir été dévalisé, le rayon histoire aussi, d'ailleurs. Il ne restait que quelques malheureux livres relatant la Guerre Éternelle des Dieux ou la fondation de l'Empire, des ouvrages qui ne retenaient plus l'attention tant ils étaient communs.

Le pauvre fynfrig fut déboussolé par ce chaos. Il avait réussi à dormir dans un coin, et se réveillait au milieu d'un vrai capharnaüm, sans même avoir la possibilité d'aller se protéger dans les airs.

A la bibliothèque, il ragea de ne trouver que des livres de bas étage. Il s'arrêta un moment, observa la foule autour de lui, puis regarda un long moment les livres face à lui. Après une courte hésitation il décida de les ouvrir. L'expérience lui avait appris que ce qui sautait aux yeux était souvent invisible. Et nous étions certainement dans ce cas, au vu de la créature qu'il fallait retrouver...

Hélas, aucun de ces ouvrages ne fut de la moindre utilité. La fondation de l'empire reposait essentiellement sur le courage de quelques héros dont les statues étaient encore honorées aujourd'hui. Quant à la guerre des dieux, le livre relatait les désastres mythiques provoqués par les dieux lorsqu'ils s'affrontèrent dans le monde des mortels. Selon l'ouvrage, les mortels faillirent disparaître, et les dieux décidèrent de continuer leur éternelle lutte dans les domaines célestes.

Plusieurs choses, cependant, dérangeaient avec ce livre. Il était très ancien, assurément, probablement un original, ce qui n'avait rien d'étonnant en ces lieux. L'écriture se voulait un peu satyrique et ne glorifiait pas les dieux, quel que soit le camp. Au contraire, il les décrivait subtilement comme des monstres innommables dont les desseins détruiraient irrémédiablement les mortels. Si ce pamphlet semblait n'avoir aucune envergure ni aucune pensée, philosophique ou théologique, valable, un autre détail était troublant : la couverture, faite d'un bois rare et souple. On n'aurait sur dire ce qui n'allait pas, mais elle semblait... dépasser.

Autre chose qui gênait le fynfrig : certaines pages semblaient avoir disparu. Volontairement effacées? Le tout était masqué subtilement, mais les yeux perçants du fynfrig habitué aux livres l'avaient tout de suite remarqué.

Discrètement, il se cacha au centre d'un rayon un peu moins rempli que les autres, et tenta de découper la base de la couverture au niveau de la pliure. ses griffes ne passeraient certainement pas le bois, mais la reliure était forcément faite de fil ou de papier aisément destructible.

Quelque chose n'était pas normal avec cette couverture, et son instinct lui soufflait qu'il avait peur être trouvé une piste.

Le fynfrig n'eut guère le loisir d’entamer l'ouvrage. Un regard sévère se posa sur lui, celui d'un elfe richement vêtu, la peau pale que masquait par endroits quelques tatouages aux allures tribales. Son regard d'émeraude semblait transpercer l'homme oiseau.

Le bibliothécaire était réputé pour sa sévérité, et sa facilité à appeler la garde en cas de problème. Mais surtout, il était un observateur aguerri et rien ne semblait pouvoir échapper à son regard de glace.

Tous deux se connaissaient, ils s'étaient déjà rencontrés par le passé, et une discussion assez intéressante avait eu lieu, et ce malgré des mentalités assez différentes. L'elfe tendit la main pour inciter l'homme-oiseau à lui rendre l'ouvrage, lui disant d'un ton sec.

"Ca ne m'étonne guère que vous ayez remarqué cette anomalie, mais je vous déconseille d'abîmer la reliure."

Il n'avait guère besoin de proférer de menaces, son simple ton et sa présence suffisait à intimider les esprits faibles, et le sous-entendu était suffisamment dissuadant pour les esprits moins influençables.

"Vous saurez peut-être mieux que ces imbéciles trouver une solution à notre problème. Rendez-moi ce livre."

Le fynfrig se tourna lentement vers l'elfe, le toisant de toute sa hauteur, de son regard de rapace complètement inexpressif mais tout aussi perçant.

Mmm... je vois que vous l'avez remarqué vous aussi. Je vais vous le rendre, si vous me faites l'honneur de me mettre sur la piste de celui qui a commis cela.
De plus j'ai de fortes raisons de croire que quelque chose est caché dans la couverture.
Quelque chose d'important...

Le bibliothécaire reprit le livre, qu'il referma consciencieusement, puis invita d'un geste le Fynfrig à le suivre. Il le mena à travers la salle, certains regards vers Zepharion étaient rieurs, du genre des élèves regardant quelqu'un d'autre être pris la main dans le sac. Mais rien de plus.

L'elfe le mena à l'arrière-salle, confiant la surveillance des lieux à l'un de ses assistants, un vieil homme portant une robe gravée de runes, puis fit ouvrir une lourde porte de pierre et de fer. Il usa d'un bref sort, désactivant par la même les sorts de sécurité en place.

"Une chance que ça fonctionne encore."

L'intérieur était mal éclairé, mais malgré l'odeur de renfermé qui ressortait, il n'y avait pas la moindre trace de poussière : le gérant était pour ainsi dire un maniaque de la propreté. La lourde porte fut refermée derrière eux.

"N'approchez pas la torche des étagères. Ces vieux parchemins sont plus inflammables qu'une forêt après trente jours de sécheresse."

Il rangea l'ouvrage sur une étagère, à un endroit qui lui semblait spécifiquement destiné.

"Ce livre est un original, comme vous avez du le remarquer. Ses copies ne présentent pas les anomalies que vous avez pu voir. Malgré l'épaisseur de la reliure, je puis affirmer qu'il n'y a rien dedans. Pour le bois de la couverture, rien n'est moins sûr, mais j'ignore quel est le mécanisme d'ouverture.

Ce qui m'intrigue le plus, ce sont les dix pages qui manquent. Je suis certain que les événements actuels sont de nature divine, de près ou de loin, mais j'ignore encore à quel degré. Les "bardes" qui se sont présentés dans tous les pays sont strictement identiques, tant d'un point de vue physique que comportemental. Quant à leur magie, elle provoque un tel typhon que rien ne semble capable de la surpasser. C'est pour cette raison que j'estime la nature des événements récents comme divine."

Vos remarques complètent les miennes.
Le barde qui s'est présenté chez nous était capable de contrôler complètement le vent. Ce dernier qui m'a toujours épaulé et porté même, s'est violemment retourné contre moi.

Le barde faisait état d'un être si banal, qu'on aurait pu facilement l'oublier. Mais si omni - présent que sa seule disparition serait fatale pour le monde en général.
C'est ce qui m'a dirigé d'ailleurs vers cet ouvrage.

Un tel être, associé au vent, à la prose et étonnement, à la banalité, est forcément un dieu. Mais je ne connais que le mien, et seule ma connaissance assez vague des autres cultures peut me faire dire qu'un tel dieu lié à ces trois concepts , puisse bien exister quelque part.

Qui sait... c'est peut être même lui que nous avons aperçu, ou l'un de ses envoyés.

"Refusé des dieux, oublié des Hommes", ce sont les paroles du barde. J'imagine que le mot "Homme" est associés aux mortels de façon générale. Si ce dieu a vraiment existé, il a vraisemblablement été oublié, voire effacé de l'Histoire. Pourquoi refait-il surface aujourd'hui ?

"La fureur des anciens temps vient frapper le présent.
Contant malgré lui la morne vie d'un être déchu"

Cette partie parle sans doute de la Guerre des Dieux, lorsqu'elle ravagea le monde mortel. Il y a fort à penser que l'être en question a existé à cette époque, mais ça remonte à des milliers d'années. J'ai justement fouillé les archives en quête de réponses. Ce livre m'a intrigué, mais je voulais confirmer ma thèse. Je pense que vous ferez l'affaire.

Les dix pages manquantes se trouvent en plein milieu du récit. Pour être exact, entre l'affrontement d'Ëlementis et Illïmenta, les dieux supérieurs, et le pacte entre les dieux interdisant les affrontements sur les Terres. Le texte est tronqué, et celui qui le conte ne voit pas les dieux d'un bon oeil.

La question est : que contiennent ces fameuses pages ?

Ce dont je suis certain, c'est que les choses vont empirer. Les effets exact de cette "intervention divine" sont encore incertains, mais j'ai déjà décelé une dégénérescence dans les trois derniers jours. La magie devient difficilement praticable, les conséquences pourraient être très dangereuses.

La question est donc de trouver qui était le troisième belligerant de la bataille entre Ëlementis et Illimenta. Il faudrait le retrouver et faire en sorte de mettre les mortels au courant de son existence afin de lui rétablir son statut d'antan.

L'idée de prêcher un dieu qui n'est pas le mien ne me sied guère, mais si cela peut nous permettre de récupérer nos pouvoir, alors dans ce cas... pourquoi pas?

Quoi qu'il en soit, il va nous falloir trouver qui pourrait avoir connaissance de ces évènements. Des dragons peut être...

Ou... ce n'est peut être qu'une intuition de fanatique, mais j'ai l'intime conviction que cet être est lié au vent. Peut être Volïanâ ma déesse pourrait-elle nous éclairer? Uhm... je ne perds rien à tenter de rentrer en contact avec elle. Quitte à demander l'aide d'un shaman, il sera plus habilité que moi.

"Réabiliter un dieu déchu... L'idée ne semble pas mauvaise, à condition que le remède ne soit pas pire que le mal. Rien ne prouve que ce "dieu oublié" ne soit pas en vérité en train de refaire surface, et qu'il soit la cause de nos ennuis.

A condition qu'il s'agisse bien d'un dieu... Je vais faire des recherches de mon côté. Je connais quelques "caches mystiques" qui seront à même de nous renseigner concernant les dieux de l'ancien temps. Je vais aussi tâcher d'analyser les effets néfastes dont nous sommes victimes, peut-être trouverons-nous un indice.

De votre côté, essayez donc votre... divination ou je ne sais quoi. Quant aux dragons, j'ai peut-être quelque chose pour vous aider."

Le mage partit au fond de la réserve pour en sortir un petit coffret dûment scellé. Il l'ouvrit par quelques manipulations, et en sortit une pièce grosse et épaisse, faite d'un métal roux aux reflets cuivrés, sur laquelle étaient gravés des séries de symboles cabalistiques. La pièce en elle-même faisait la taille d'une assiette, et pesait relativement lourd.

"Le métal qui compose cet objet a des propriétés magiques discutables, mais il est très précieux pour une caste de conteurs chez les Dragons. L'un d'eux, un certain Arkessijunerk, a une dette envers moi. Donnez lui cet objet et il vous donnera toutes les réponses dont il dispose."

Le fynfrig prit l'objet et acquiesça.

Bien. J'irais aussi vite que mes jambes peuvent me porter, en espérant que la suite des évènements ne s'aggrave pas trop rapidement. Sans mes ailes, je ne sais pas jusqu'où je pourrais aller.

Il s'inclina poliment et sorti, en direction du pays des êtres les plus anciens du monde.

"Louez un chariot, ça ira plus vite..."

Le ton reflétait l'évidence et un certain agacement chez le mage. Il repartit dans ses livres et entama ses recherches.

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