L'Art de Parler Seule [Libre]

- L'Art de Parler Seule -
12 Juwÿn

Elle était là, partout et ailleurs en même temps. Bras écarté, âme offerte au monde, les paupières clauses avec une prière muette sur le tracé de ses lèvres. Elle inspira, expira. Elle pouvait sentir le goût âpre de l'air mélangé à celui plus confus et subtil de la liberté, se mêler à chaque fibre de son corps. Alors lentement, très lentement, elle se mit en mouvement de cette souplesse si animale qui lui était propre... Un pieds en avant, l'autre légèrement décalé, les bras au-dessus de sa tête comme des ailes. Un instant l'envie de déchirer cette enveloppe humaine et de prendre son envol fut grande. Les cieux l'attiraient, les rayons chaleureux du soleil qui venaient caresser sa peau halée lui rappelaient le chant du vent et, à perte de vue, tout n'était qu'océan émeraude bercé d'un perpétuel mouvement de balancement. Oui, céder à la tentation, s'envoler, disparaître derrière les nuages... Comme chaque fois elle hésita. Et comme chaque fois elle renonça. Il n'était pas encore temps de prendre de nouveaux départs...
Son pieds gauche glissa vers l'arrière, elle avança le droit. Inspiration, expiration. Elle fit glisser ses bras dans la douce brise d'Ëlis et ses doigts jouèrent avec le vent, ses longs cheveux flammes laissés libres sur ses épaules. Elle s'évertua au silence de l'esprit qu'impose la paix de l'âme et tâcha tant bien que mal d'effacer sa présence du monde. Inspiration expiration...
Un lourd grondement sourd fit trembler la terre, très loin au sud. Un fin demi-sourire naquit sur les lèvres de la dragonne, lorsqu'elle songea à l'orage paresseux qui roulait ses masses ténébreuses sur les immensités des plaines de Sibéra. La colère palpable et grondeuse du ciel était-elle l'œuvre d'une quelconque Divinité ? Ou n'était-ce que l'agencement hasardeux de conditions tout ce qu'il y a de plus naturelles ? Elle l'attendait depuis longtemps cet orage. La pression atmosphérique avait atteint des sommets depuis quelque jour, il fallait bien que ça pète à un moment où à un autre !
Elle jura subitement entre ses dents, rompant du même coup tout son intense travail de relaxation. Et voilà, elle avait recommencé. Elle était à nouveau partie en plein hors-sujet alors qu'elle était censé garder le silence intérieur. Était-ce donc si impossible de faire taire cette curiosité maladive qui envenimait ses pensées ?! Elle s'assena une gifle mentale grandiose et fit le tri en son fort intérieur. Elle verrait plus tard pour sa théorie sur l'orage. Pour le moment, elle devait combler son ignorance au sujet des exercices de détentes dont lui avaient parlés un vieux barde sur les routes... Il paraitrait qu'on en ressort plus fort, plus puissant. Et bien cela, elle voulait le vivre !
Elle se remit en position et calqua son souffle sur celui du vent. Ses battements de cœur s'apaisèrent, eurent un soubresaut lorsque l'orage éclata une nouvelle fois dans le lointain, et reprirent leur tam-tam régulier...
Souvenirs... Un éclair brun, des yeux magnifiquement bleus. L'éclat miel d'une voix aimée, le son de clochette d'un rire partagé un même soir d'Ëlis...
Le cœur torturé elle rouvrit ses prunelles d'un vert sombre sur le monde. Non, ainsi, elle n'y arriverait jamais. S'il devait continuer de la hanter chaque fois qu'elle daignait bien fermer les yeux... De rage elle envoya valser son carquois qui l'attendait à ses pieds, étouffa une grimace de douleur très féminine lorsque son gros orteil rencontra la pointe d'une flèche plus sortie que les autres. Elle clopina tant bien que mal sur quelques mètres, rageuse, récupérant une à une toutes ses maigres affaires éparpillées, et s'installa dans un coin confortable d'herbe molle et verte... Trois de ses flèches étaient brisées, les trois restantes ayant pâle figure après des mois d'utilisation. Nouvelle grimace.

« Cela va encore me coûter cher tout ça... »

Elle se tut, contempla ses flèches et crut bon de rajouter :

« Certes peut-être faut-il aussi que je vous trouve une petite sœur... Que penseriez-vous d'une jolie dague à bon marché ? »

Le temps était très chaud, lourd et humide. Le cheval de Basil s'arrêta pour humer l'air. Il allait y avoir de l'orage, l'apprenti-forgeron le sentait. Il faut dire qu'il avait fait très beau ces derniers jours, trop beau. A peine avait-il pensé que l'orage allait venir qu'il entendit le grondement du ciel. Mince... Il ferait mieux de se dépêcher s'il voulait se mettre à l'abri avant la saucée.
Qu'est-ce qui lui avait pris aussi, d'aller faire une ballade à cheval dans les plaines ? Le désir de retrouver un sentiment de liberté, après des heures passées enfermé dans cette forge sans doute... Mais il n'avait de toute évidence pas choisi le bon jour pour le plein air.
Tandis qu'il chevauchait, il aperçut une forme au loin, une forme humaine. C'était sur sa route, et tandis qu'il s'en approchait, il distingua de loin une longue chevelure flamboyante. La silhouette féminine levait les bras au-dessus de sa tête, et les ramenait en arrière. Étrange... Une sorte de relaxation. Puis il vit la femme donner un grand coup de pied dans quelque chose, puis se baisser pour ramasser des affaires et aller s'asseoir d'une démarche claudicante. Il était suffisamment près pour la voir plus distinctement à présent, et pour entendre une partie de ses paroles. La femme était très belle, et elle parlait seule, à un carquois de flèches.
Basil arrêta son cheval près d'elle, et sans en descendre, il s'adressa à elle, d'une voix polie et timide :

Mademoiselle ? Vous... vous ne devriez pas rester là... il va y avoir... de l'orage...

Bien entendu, le silence de ses flèches devint persistant, et elles ne firent pas mine de vouloir acquiescer aux pensées de leur maitresse. Cette dernière s'autorisa un léger froncement de sourcil avant de finalement décréter, que, si ses armes refusaient de lui parler, c'était plutôt bon signe...
Cassure. Une présence inconnue venait d'entrer dans le périmètre de ses sens. Son de sabots foulant la terre et l'herbe, chuchotement du vent au creux de son oreille. Elle ferma les yeux. Se concentra. Les véritables bêtes sauvages à craindre ne s'approchaient jamais aussi près d'une grande cité, et, de plus, elle ne craignait nullement les rares maraudeurs qui se contentaient généralement de s'enfuir en hurlant, lorsque la proie convoitée se transformait subitement en machin plein de crocs. Sans doute l'un des paysans en quête de solitude qu'elle avait entraperçu dans les champs dorés lovés autour de la cité...
Lorsqu'elle rouvrit les yeux, un jeune homme se tenait là sur un cheval plutôt nerveux, des cheveux bruns soulignant son regard sombre, un étrange gilet en... Elle s'immobilisa, ses prunelles émeraudes braquées sur l'étrange vêtement en écaille de dragon, plus surprise que choquée. Un chasseur de dragon ? L'odeur délicieuse de feu et de métaux qu'il dégageait lui disait que non, on obtient pas pareil fragrance à courir les forêts et montagnes à la recherche d'un dragon enragé... Elle se releva souplement, serra les dents lorsqu'un ultime élancement lui remonta le long de la jambe et se campa droite et fière devant le nouveau venu.

- Mademoiselle ? Vous... vous ne devriez pas rester là... il va y avoir... de l'orage...

Elle lui décocha un merveilleux sourire à la candeur étonnante, amusée de l'avoir imaginé en tueur en série de reptile...

« Savez-vous d'où vient l'orage ? »

La question avait roulée d'elle seule sur ses lèvres. Peut-être ce mystérieux inconnu à peau de dragon savait la réponse à sa question... Elle se figea à nouveau, pensive. Elle murmura de manière intelligible, cependant plus pour elle même que dans un réel soucis d'être entendu :

« Un jour une personne qui m'est chère m'a dit que les nuages d'orages ne grondaient pas, mais hurlaient leur amour au vent qu'ils ne pourront jamais rattraper... »

Elle eut un instant de silence et reprit en souriant :

« Et vous ? »

La femme l'observa avec un regard étrange, qui ne plut pas au forgeron. Elle s'obstinait à le fixer, avec une expression de surprise... Basil, gêné, remonta la capuche de sa tunique dorée sur sa tête, comme pour se protéger de son regard. Puis elle se releva, toujours sans un mot, et lui fit face. Elle avait un corps sublime. Mais qu'est-ce qui lui prenait de se faire ce genre de remarque ?
Avec un grand sourire, elle lui demanda s'il savait d'où venait l'orage... Décontenancé par la question et par la prestance qui émanait de cette femme, il bredouilla naïvement :

De l'ouest je crois...

Mais au vu de ce qu'elle ajouta, elle ne cherchait pas à savoir le sens d'arrivée de l'orage, mais sa raison d'être. D'abord troublé par cette personnification d'un phénomène naturel, il esquissa ensuite un très léger sourire. Cette interprétation poétique lui en rappelait une autre. Aussi répondit-il, d'un ton emprunt de douceur et de nostalgie :

Une personne qui m'est chère m'a dit un jour que l'orage était le fruit de la colère du dieu des Dragons, quand il hurlait sa peine lorsque l'on tuait l'un de ses enfants...

Il sembla perdu dans ses pensées durant quelques instants, puis il secoua la tête et eut un regard presque effrayé, tout du moins étonné. Pourquoi lui avait-il répondu cela ? Il avait parlé sans réfléchir... De nouveau il parut gêné, troublé, et il se remit à bredouiller :

Vous, vous ne devriez... vraiment pas... rester dans les plaines, vous devriez... vous mettre à l'abri avant... avant que le ciel nous tombe sur la tête.

La terre trembla de ces légères secousses qui agitent parfois le monde. Très loin au-dessus d'eux les nuages grondèrent une nouvelle fois, portés d'un nouvel élan vers l'avant. Oui, l'orage se rapprochait à grand pas... Luz avait bien hâte de voir cela. Il lui était autrefois arrivé de voler parmi ces forces de la nature, de sentir l'intense puissance de l'électricité contenu dans chaque micro-goutte de plus se répercuter le long de ses écailles. Mais elle n'avait pas eu peur. Jamais. Le vent la portait, les cieux clamaient leur amour. Et, au milieu de ce chaos immuable, elle s'était sentie en sécurité...
Dans le profond silence de la sagesse qu'accompagne les réflexions de l'âme, elle attendait sa réponse. L'expression de Basil se fit douceur comme du miel et ses yeux brillèrent de cette profonde mélancolie qu'on ceux qui survive sans l'autre... Alors elle s'ouvrit à sa réponse, sentant qu'elle tenait peut-être enfin là la clé de ces interrogations.

- Une personne qui m'est chère m'a dit un jour que l'orage était le fruit de la colère du dieu des Dragons, quand il hurlait sa peine lorsque l'on tuait l'un de ses enfants...

Son cœur loupa un battement, ses prunelles s'illuminant pour la première fois depuis longtemps d'une lueur d'intérêt. Rares étaient les personnes de par le monde qui avaient pris la peine de lui donner une réponse sérieuse. La personne qui lui avait offert cette réponse devait bien avoir la sagesse d'un dragon... Un fin demi-sourire craquant éclaira sa peau halée, amusée qu'il est employé sa tournure de phrase. Il n'était pas comme les autres. Différent. Blessé ?
La douceur s'évapora de son visage, comme un nuage de fumée et un air étonné la remplaça l'espace d'un court instant. Lorsque son merveilleux timbre retentit à nouveau il bredouilla, gêné :

- Vous, vous ne devriez... vraiment pas... rester dans les plaines, vous devriez... vous mettre à l'abri avant... avant que le ciel nous tombe sur la tête.

Un mince filet de vent vint jouer avec les mèches rebelles couleur flammes de la dragonne, comme pour prouver les dires de l'inconnu. Elle lui répondit d'une voix franche et mélodieuse sur un ton enjoué :

« Savez-vous que vous êtes sacrément craquant lorsque le trouble donne ce joli bégaiement à votre voix ? »

Elle fit un pas de côté, vif, et montra d'un geste désinvolte son camp de fortune.

« Je n'ai qu'ici où aller, et c'est là que m'ont porté mes pas. Pourquoi ne resteriez-vous pas, histoire de me protéger de l'orage ? Je voudrais vous connaître... De plus, si la personne qui vous était chère avait raison, le Dieu qui souffre là-bas ne nous fera aucun mal... »

Elle s'approcha de son carquois abîmé d'une démarche silencieuse et souple et s'étira comme un chat, regard tourné vers les cieux. Puis soudain, avec ce revirement particulier et étrange qu'elle prenait souvent, elle s'enquit auprès du jeune homme :

« Dîtes-moi... Aimez-vous les dragons ? »

[ hrp : désolé pour le retard ^^' ]

Le trouble de Basil augmenta encore, et son visage rougit sérieusement de gêne lorsqu'elle lui dit qu'elle le trouvait "sacrément craquant". Il n'était pas accoutumé à recevoir ce genre de compliments, et cette jeune inconnue le troublait beaucoup, sans qu'il puisse savoir pourquoi. Le vent vint soulever ses cheveux, semblables à des flammes dansantes derrière elle. Il émanait d'elle un parfum envoûtant, une aura de mystère et de poésie, qui lui donnait envie d'en savoir plus sur elle, et de passer du temps avec elle, malgré l'orage imminent.
Alors que son cœur lui murmurait ce désir insensé, la jeune femme lui proposa justement de rester avec elle, pour la protéger, et pour apprendre à le connaître. Il répondit, d'une voix triste, de nouveau sans réfléchir à ce qu'il disait, comme si son cœur parlait à la place de son esprit :

Je ne pense pas pouvoir vous être d'un grand secours ici, je suis un bien mauvais protecteur...

De sombres pensées s'immiscèrent dans son esprit. Il regarda le ciel tourmenté, perdu dans ses souvenirs. Mais il redescendit violemment sur terre, lorsque la femme aux cheveux de feu lui demanda, sans crier gare, s'il aimait les dragons. La question, posée si brusquement, provoqua en lui une sorte de panique. Ses yeux sombres s'écarquillèrent, et ses mains moites serrèrent si forts les rênes de son cheval que celui-ci commença à s'agiter également. Il bredouilla quelques mots inintelligibles, qui furent de toute façon couverts par le bruit très proche d'un nouveau grondement du ciel. Mais malgré l'orage qui approchait, malgré le trouble qui grandissait en lui, il éprouvait un désir insensé de rester auprès de cette femme qui l'intriguait tant, pour résoudre cette énigme, lorsqu'il réussit enfin à lui demander d'une voix tendue :

Pourquoi me demandez-vous cela ?

[Hrp : No problème ! =P]

Elle approcha d'un pas. Léger. Instinctif. La mélancolie profonde qui semblait s'être ancrée dans le regard du forgeron l'espace d'un cour instant l'avait ébranlé malgré elle. Au fond d'elle, là-bas tout au fond, une douleur au goût caramel avait hurlé dans ses oreilles, et le désir impérieux de le prendre dans ses bras avait fusé, fugace comme le vent... « Ne t'inquiète pas. », « Tout ira bien. ». Des mots, de simples mots. Il le lui avait murmuré tant de fois, lorsque ses mains à la chaleur rassurante venaient caresser ses cheveux... Comme l'on réconforte un enfant d'un mauvais cauchemar. Bon sang si seulement elle pouvait lui mettre une bonne tarte, là maintenant tout de suite ! De quel droit s'était-il permis d'insuffler la sécurité en son cœur ?!

- Je ne pense pas pouvoir vous être d'un grand secours ici, je suis un bien mauvais protecteur...

Elle ouvrit la bouche. La referma. Serra les dents... Ses bras fins retombèrent le long de son corps, amorphes. Il n'était pas Lyam. Maudits instincts immuables ! Suffisait-il d'aimer et chérir ne serait-ce qu'une seule fois dans sa vie pour ouvrir son âme à toutes les prétentions ? Que son corps aille au devant d'elle, sans même la consulter ? L'univers de ses yeux verts se ferma derrière une tenture de longs cils noirs. Elle réfléchissait, paupières closes. Non. Non, ce n'était pas aussi simple... C'était... C'était plus que cela, bien plus que cela.
Il n'était pas Lyam. Il ne le lui rappelait que par la couleur incroyablement corbeau de ses cheveux. Mais elle s'ouvrait à lui, sans même le connaître, et cela tout simplement parce qu'il était lui. Un mince sourire vint flotter sur son visage, lorsqu'elle se rouvrit aux couleurs du monde. Elle s'était retrouvée. Avait accepter la mort de l'être cher il y a déjà bien longtemps... Et elle n'était plus une enfant que l'on rassure par de doux murmures chuchotés au creux de l'oreille.
Elle leva des yeux surpris sur les nombreux sentiments contraires qui semblaient s'agiter en l'homme qui lui faisait face. Ses jointures blanchir, sa monture rechigna. Les jolies couleurs qu'elle avait vu son visage abriter s'évanouirent en un instant, remplacées par un trouble qu'elle ne parvenait pas à s'expliquer. Elle se remémora sa question, se demanda en quoi elle pouvait bien être l'objet d'autant de souffrances...
Un violent coup de tonnerre ébranla la terre, un éclair doré zébrant le ciel à l'horizon. Un reflet électrisé vint courir sur la peau halée de la dragonne, un léger frisson lui échappa. Mais ses yeux restèrent braqués sur le jeune homme, attentifs au moindre mouvement. Elle sentait qu'en lui l'harmonie s'était brisée. Se sentait-il menacé ? Pourquoi ?

- Pourquoi me demandez-vous cela ?

Elle se tut. Leur deux souffles hachurant le silence incomparable que seuls savent mettre en œuvre les orages. Elle recula d'un pas. Instinctif aussi. Un très lointain signal de danger s'était éveillé en elle. Et pourtant, elle savait n'avoir rien à craindre de lui. Elle ignorait tout de ses capacités, s'il savait se battre ou quoi que se soit d'autre. Elle savait juste -elle ne savait pourquoi- qu'il ne l'attaquerait pas. Elle ramassa ses flèches d'un mouvement fluide et les tendis au jeune homme, une moue embêtée sur le visage.

« Sauriez vous comment répare-t-on des pointes de flèches fendues ? Vous devriez descendre de cheval, il m'a l'air assez énervé comme ça à cause de l'orage... Je me nomme Luz. »

Elle eut un instant de silence, léger flottement. Elle reprit aussitôt, sa voix musicale résonnant dans l'air comme le jugement dernier :

« Et je suis dragonne. »

La jeune femme semblait troublée également, plongée comme lui dans de douloureux souvenirs. Mais il s'en rendait à peine compte, concentré sur toutes les questions qui se bousculaient dans sa tête, et les émotions qui se bousculaient dans son cœur.
Tout aurait pu très bien se passer si elle en était restée à ses questions sur les flèches. Là il se sentit plus en sécurité, abordant un domaine qu'il connaissait, qu'il maîtrisait. Il lui accorda un début de sourire, très léger, et s'apprêta à lui répondre, et même à descendre de cheval, lorsque soudainement elle prononça la phrase fatidique qu'il redoutait depuis le début, même s'il n'osait se l'avouer : elle était une dragonne.
C'était pourtant évident : il n'éprouvait ce genre d'attirance, de mystérieuse envie de rester auprès d'une femme, que lorsqu'il s'agissait de l'une de ces créatures mystiques qu'il avait tant vénérées autrefois. Si la rencontre avait eu lieu cinq ans plus tôt, ou même quelques mois auparavant, il aurait été ravi de passer du temps avec elle, pour apprendre à la connaître. Mais plus maintenant. La blessure profonde qu'avait causée la perte de sa propre dragonne, et qui était à peine refermée, était en train de s'ouvrir à nouveau, et, comme à chaque fois qu'il était confronté à une situation qu'il ne pouvait surmonter émotionnellement, il décida de prendre la fuite. Son visage, devenu si pâle et contrastant avec la noirceur de ses yeux et de ses cheveux, lui donnait un aspect cadavérique. Il ouvrit la bouche, la referma, la rouvrit, et parvint enfin à articuler, d'une voix blanche :

Je... Je suis...
Désolé, je dois partir.

Il tira la renne droite de son cheval pour qu'il se détourne, afin de pouvoir partir, mais il revint sur sa décision l'espace d'un instant, pour dire très vite en guide d'au revoir :

Il y a une forge à Ra'Sibe, pour vos flèches.

Il eut de suite une mimique comme s'il regrettait cette dernière phrase. Puis, sur un bon coup de talons, il fit partir sa monture, le plus vite possible.

[ hrp : libre à toi de voir si tu le rattrapes ^^ ]

Un vide. Il y avait comme un vide immense là, dans son cœur. Son esprit fonctionnait à toute allure, certes, mais elle ne parvenait pas à opter pour l'une ou l'autre des directions qui se présentaient à elle. Une légère angoisse, sinueuse et sournoise lui montait du fond de la gorge, enserrait son esprit dans une gangue de morphine.
Elle ne bougea pas. Ne bougea pas lorsqu'elle sentit la déchirure en celui qui lui faisait face s'ouvrir de plus belle. Ne bougea pas lorsqu'une pâleur mortelle se déplaça tel un fantôme sur son visage. Ne bougea pas non plus lorsqu'il parvint à choisir le chemin qu'il prendrait...

- Je... Je suis... Désolé, je dois partir.

Ses prunelles émeraudes firent la navette entre lui et le lointain. Deux fois. Comme si le temps s'était brusquement arrêté sur une phrase sans cesse répétée. Et le tonnerre gronda sa douleur et sa peine au monde, brisa cet arrêt du temps. Et tout alla très vite.

- Il y a une forge à Ra'Sibe, pour vos flèches.

Il grimaça. Regret ? Luz sentit son âme flancher, le désir irrésistible de hurler une colère inconnue au vent, de détruire le monde par un simple mouvement de son esprit. Fugace... Cet étrange sentiment disparut aussitôt, emporté par la brise. Ne laissant à nouveau que le vide...
Elle ne bougea pas non plus lorsqu'il fit virevolter son cheval nerveux, ne prononça pas un mot lorsque l'étalon se lança dans un galop effréné, flottant au-dessus de l'herbe mouvante comme si la mort elle-même était à ses trousses.
Et les cieux se déchirèrent. Un trait de lumière brisa l'espace, frappa la terre comme si la planète toute entière aller s'éventrer dans un bruit de fin du monde. Luz s'ébroua. Et c'est alors qu'elle ne se reconnut plus.
Elle s'élança.
Elle ne savait pas ce qu'elle faisait. Enfin si, théoriquement parlant elle courrait comme si sa vie en dépendait. Théoriquement. Mais pourquoi le faisait-elle ? Au nom de quoi ? Et une fois qu'elle y serait, que ferait-elle ? Autant de questions qui se heurtaient à l'infini silence qui avait envahit son esprit. Une énergie intense coulait et vibrait sous sa peau, une magie électrique brillait en son regard. Et finalement, elle finit par se dire qu'elle n'en avait cure. Elle s'en foutait de ne trouver aucune réponse, après tout. Peu importait si son subconscient avait choisit de l'arrêter... Sa spontanéité faisait simplement partie d'elle...
Mais qui peut bien se targuer d'avoir déjà rattraper un cheval au galop ? Qui ? Un fin sourire étira ses lèvres. Oui, mais elle, elle n'était pas humaine... Elle sentit la magie affluer dans chacune de ses veines et de ses tendons. Sa silhouette éclata dans un nuage de fumée argent tandis que ses ailes s'étendaient enfin au monde. En un simple bond, elle se retrouva à quinze mètres du sol, à nouveau libre. Libre ! LIBRE !
Elle luta violemment contre l'instinct surhumain qui la poussait toujours plus loin vers le sud, loin de la ville, loin de celui qu'elle poursuivait. Et elle plaça toutes ses forces dans ce désir insensé de l'arrêter, chutant plus dans le vent qu'elle ne volait... Elle le dépassa, loin, très loin au dessus de lui et traça une ligne courbe dans le ciel, glissant le long d'un éclair, rétractant ses ailes au dernier moment, sa silhouette draconienne éclatant à son tour dans un second nuage de fumée argent... Ses pieds foulèrent le sol, glissèrent, et elle roula sur quelques mètres, chevelure feu dansant dans l'herbe verte.
Elle se redressa tant bien que mal, épuisée mais heureuse, terriblement heureuse, et ouvrit les bras sur le monde, se dressant droite et fière devant la course du cheval au galop, devant l'homme qu'elle ne connaissait pas mais qu'un désir impérieux lui clamait d'aider... Elle ne se pousserai pas. Même s'il refusait d'arrêter sa monture. Elle aimait les défis. S'en était un merveilleux...

« Pourquoi ?! »

Son hurlement explosa l'univers, tout entier porté vers celui qui lui fonçait dessus. Elle y plaça toutes ses envies, ses peurs, son passé, son futur... Tout ce qu'elle était dans un simple cris, n'étant ni une vraie question ni une réponse. Elle ne sut même pas à qui elle la posait, cette question. Si c'était bien à lui ou à elle-même et ses réactions. Mais elle hurla, transportée par l'orage et le dieu qui s'y cachait, transportée par la douleur qu'elle avait cru voir en cet inconnu. Et elle ne connaissait même pas son nom... Dans un coin de son esprit, elle se jura de le lui demander s'il daignait s'arrêter... Parce que c'était sa dernière carte à jouer.

Les cieux se déchaînaient à présent, une pluie torrentielle s'abattit sur les plaines, et des éclairs déchirèrent le ciel et la terre. La foudre tomba à quelques mètres seulement du cheval de Basil, qui s'élançait à vive allure. Son cœur battait à tout rompre, cognait contre ses côtes, lui donnant l'impression qu'il allait exploser. Était-ce à cause de la pluie qu'il voyait à moitié trouble ? Il n'arrivait plus à réfléchir posément. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il serait facile à la dragonne de le rattraper si elle le voulait... Et sa crainte se réalisa, lorsqu'elle réapparut devant lui, le forçant à arrêter son cheval pour ne pas la renverser, et lançant une sorte de cri désespéré, cette question que lui-même se posait intérieurement si souvent, et qui lui rongeait le cœur. Son cheval se cabra en s'arrêtant, et il faillit tomber au sol. Il fixa alors la dragonne d'un regard très sombre, et hurla à son tour :

Hors de mon chemin, dragonne !

Ce n'était plus un jeune homme troublé et timide qui se tenait face à elle, mais un homme rongé par une rage intense. Il émanait à présent de lui une puissance impressionnante, terrifiante et il n'y avait plus aucune trace de gentillesse, ou de timidité. Cette phrase prononcée n'était pas une simple demande, la dragonne put le ressentir, c'était un ordre, un ordre auquel elle ne pouvait désobéir, même avec la plus forte volonté du monde. C'était un ordre d'asservissement de l'esprit. Un ordre de dragonnier à dragonne. Et, tandis qu'elle s'écartait malgré elle, elle perçut une voix dans son esprit, une voix moins agressive, presque suppliante :

* Ne m'oblige pas à te faire du mal... *

Comme si derrière cette nouvelle personnalité rageuse qui se tenait devant elle, il y avait toujours cet homme tourmenté, qui cherchait à la protéger...
Puis, claquant des talons, il repartit au galop.

[ hrp ; désolé, je ne cherche pas à jouer à ta place, mais c'est de la domination draconique donc sur le coup t'as pas le choix... ^^' ]

Morte. Cela ne pouvait être que cela. « Encore ? », songea-t-elle.
Une douleur inhumaine fusa vers son esprit, détruisit toutes les barrières mentales qu'elle s'était acharnée à construire pendant toutes ces années. Cinq siècles. C'était long tout de même. Quatre siècle d'inconstance. Un siècle de douleur muette. Elle qui était forte, elle qui n'avait pleuré qu'une seule fois de sa misérable vie, elle qui n'avait hurlé sa douleur que cette unique et même fois, elle dut mourir à nouveau.

- Hors de mon chemin, dragonne !

Une puissance inexplicable ravagea son esprit, vint écraser, dominer son esprit jusqu'au tréfonds de son âme. Un passage de sa vie se brisa, sa respiration se fit hachure jusqu'à devenir inexistant. Elle tenta de s'accrocher, se concentra sur le goût de la pluie sur ses lèvres entrouvertes, la texture du vent sur sa peau, la colère des cieux déchaînés au-dessus d'eux... Et tout fut détruit. Explosé par ce simple et unique ordre comme on balaye une poussière sur son passage. Elle qui avait toujours été libre, elle qui ne connaissait pas l'asservissement fut engloutis par le désir du dragonnier. Et elle cessa d'être Luz.
Son corps bougea de lui seul, sans souplesse ni grasse. Elle n'était plus là pour le contrôler, il n'était plus elle. Juste mécanique chimique de tendons et de muscles... Et l'immense pression se retira de son esprit, rétractant la douleur insupportable qu'elle avait entraîné. La réalité se heurta à la dragonne de plein fouet comme on percute un mur et ses dents aiguisées desséchèrent enfin leur prise sur sa lèvre inférieure, libérant un fin filet vermeille. L'air revint comme une masse. Elle haleta.

* Ne m'oblige pas à te faire du mal... *

La voix insupportablement suppliante acheva de blesser son esprit épuisé. Elle n'avait pleuré qu'une fois, lorsque l'être aimé était partit. Et pourtant... Pourtant un torrent de larmes vinrent baigner ses prunelles d'un vert sombre vacillant. Pourquoi pleurait-elle ?! Elle se détesta de se montrer aussi faible, haït toute l'eau qui semblait ne pas vouloir cesser de se déverser sur sa peau halée, hurla au monde sa frustration de n'avoir rien pu faire face à l'ordre du dragonnier qui l'avait asservis par sa simple volonté. Elle voulait continuer à croire qu'elle était libre, ne cessait de se le répéter... Et chaque fois, l'insupportable revenait. La sensation de ne plus être soit, l'horreur de sentir son esprit se renverser.
Elle ne parvenait même plus à essuyer ses larmes traitresses, tout son corps n'étant plus que frustration douloureuse incapable de bouger. Perdu. Elle était simplement là, à le fixer de ses yeux ampli de terreur, sans même comprendre d'où lui venait cette peur ancestrale. Elle qui avait bravée des griffons, elle qui avait frôlé bon nombre de fois la mort, et n'avait jamais, jamais eut peur ! Ses jointures blanchirent à l'extrême sur ses deux poings fermés, seul geste qu'elle parvenait à faire... Et le forgeron lança sa monture au galop, son implacable colère démentielle s'ôtant des maigres épaules de la dragonne...
Elle n'avait rien pu faire. Rien. Rien ! Dans un ultime effort elle se tourna vers le cheval au galop, son cœur bercé par une étrange mélodie. Elle le retrouverai. Récupérerai ce morceau d'elle qu'il lui avait volé. Écraserai cette haine et cette douleur qui avait fait jaillir ses larmes...
Elle ne sut pas comment, mais alors que derrière le brouillard de larmes qui lui inondait les yeux se tenait la lointaine silhouette du dragonnier, ses jambes s'effondrèrent sous elle et elle mordit la poussière, un océan de verdure se refermant sur elle...
Dormir... Ne plus réfléchir... S'abandonner. Elle ferma les yeux sur son insondable désespoir, rêvant plus qu'elle ne pensa à une histoire de forge...
Oui, cela lui rappelait vaguement quelque chose...

Et les ténèbres se refermèrent sur elle.

[Hrp : Rp terminé ? Sauf si tu souhaites répondre Basil. ^^]

[ hrp : pour moi c'est bon. Merci ^^ Je verrouille le sujet. ]

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